Espagne: le rapport du détective privé accepté et le licenciement validé par le juge

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La justice espagnole a récemment approuvé le recours à un détective privé dans le cadre du licenciement d’une salariée. Celle-ci, serveuse dans un train, omettait d’enregistrer certaines ventes réalisées aux passagers. Revenons sur ce cas réel et imaginons comment la justice française traiterait un cas similaire.

L’employée était serveuse de bar à bord de trains à grande vitesse en Espagne. Son employeur, une société privée assurant les services de restauration à bord des trains opérés par la RENFE, soupçonnait des irrégularités dans les ventes réalisées sur certains trajets.

L’employeur a mandaté une agence de détectives privés pour vérifier ses suspicions. Ceux-ci ont constaté à plusieurs reprises, précisément sur quatre trajets répartis sur une période de six mois, que la serveuse en question n’enregistrait pas systématiquement les ventes de snacks et boissons qu’elle réalisait auprès des passagers. Ces derniers acquittaient pourtant bien l’intégralité des articles qu’ils consommaient. Dans certains cas, la serveuse omettait d’inscrire une partie des articles sur le ticket de caisse. Dans d’autres cas elle procédait à une annulation du ticket a posteriori.

Les détectives privés ont enregistré, à l’aide d’une caméra dissimulée, les ventes et encaissements que la serveuse réalisait auprès d’eux-mêmes et d’autres passagers. Les transactions ont par la suite été confrontées aux tickets de caisse transmis par l’employeur, ce qui a permis de constater les irrégularités. L’inventaire de caisse en fin de trajet ne permettait pas de détecter le vol puisqu’il correspondait aux tickets enregistrés. Les montants encaissés mais non enregistrés profitaient ainsi à l’employée.

La justice espagnole accepte le rapport des détectives et valide le licenciement

L’employée avait contesté le licenciement, arguant entre autres qu’elle n’avait à aucun moment été informée qu’elle pourrait être filmée sur son lieu de travail.

Dans sa sentence 3636/2019 du 8 juillet 2019, la chambre sociale du Tribunal Supérieur de Justice (TSJ) de Catalogne a rejeté l’appel de l’employée et validé son licenciement pour faute grave, à savoir le vol. Le TSJ de Catalogne a accepté le rapport des détectives privés et les images enregistrées par ces derniers, considérant que les preuves fournies répondaient aux trois principes essentiels suivants:

  • pertinence/légitimité (idoneidad): le recours à un détective privé était justifié par les suspicions de vol qu’avait l’employeur envers sa salariée
  • nécessité (necesidad): l’utilisation d’une caméra dissimulée était un moyen nécessaire pour obtenir la preuve
  • proportionnalité (proporcionalidad): les enregistrements ont été ciblés sur l’objectif des investigations, et ont ainsi été limités à la zone de la caisse

Le juge a ainsi rejeté la contestation des images enregistrées, précisant par ailleurs que l’enregistrement n’avait pas été réalisé directement par l’employeur mais par des détectives privés.

En complément des images, le juge a aussi pris en compte le rapport écrit des détectives privés, les déclarations de plusieurs témoins, ou encore les tickets de caisse fournis par l’employeur.

Et en France? Comment les juridictions traiteraient-elles le même cas?

Si la justice espagnole a favorablement accueilli l’intervention des détectives, on peut se demander quelle serait l’issue d’une affaire similaire en France? Des similitudes existent entre les deux pays, avec cependant quelques nuances en fonction de la juridiction consultée.

Procédure pénale ou prud'homale, une approche différente

En matière prud’homale en France, on accorde une place très forte à la protection des salariés, et l’utilisation de moyens de vidéosurveillance pour contrôler l’activité des salariés est traitée avec beaucoup de vigilance. Ainsi, les tribunaux ont, à de multiples reprises, rejeté des éléments de preuve issus de vidéosurveillance quand les images avaient été enregistrées à l’insu des salariés. L’article L 1222-4 du Code du Travail précise la nécessité d’informer:

Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance.

L’information préalable doit être précise, et indiquer clairement aux salariés que les images pourront être utilisées afin de contrôler leur activité professionnelle. Une note d’information indiquant simplement la présence de caméras de sécurité n’est donc pas suffisante.

En matière pénale, l’utilisation d’images enregistrées sur le lieu de travail recevra probablement un traitement plus favorable de la part des juges. Il convient alors à l’employeur, après avoir collecté les preuves du vol, de déposer une plainte contre la salariée en vue d’ouvrir la procédure pénale.

La procédure pénale peut toutefois s’avérer longue. Il est recommandé à l’employeur de procéder au licenciement qu’à condition d’être sûr de la qualification de l’infraction commise, à savoir le vol, et de la forte probabilité d’obtenir gain de cause. Dans le cas contraire, il sera préférable d’attendre la condamnation pénale du salarié avant de le licencier. Mais la procédure pénale est aussi une garantie pour l’employeur. Le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal doit ainsi prévenir toute contestation en instance civile par le salarié condamné, et le licenciement ne pourra être remis en cause.

L'enregistrement d'images, cas spécifique du train

Dans le cas réel de la serveuse licenciée pour vol en Espagne, les images ont été enregistrées par les détectives à bord du train, lieu de travail de l’intéressée.

En France, la légalité des prises de vues (photographies et vidéos) dépend du lieu dans lequel elles sont réalisées. L’article 226-1 du Code Pénal interdit en effet de “fixer, enregistrer ou transmettre, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé”. Cela sous-entend donc que l’enregistrement d’images sans le consentement de la personne est possible dans un lieu public.

Mais alors qu’en est-il du train? Lieu public ou lieu privé? La jurisprudence considère qu’un lieu privé n’est “ouvert à personne sauf autorisation de celui qui l’occupe d’une manière permanente ou temporaire” (CA Besançon, 5 janvier 1978). Au contraire, un lieu ouvert au public est “accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions” (CA Paris, 19 novembre 1986). Ainsi, les transports en commun comme par exemple le train, dont l’accès est possible par le simple achat d’un titre de transport, sont considérés comme des lieux ouverts au public. Le Ministère de la Justice l’a d’ailleurs rappelé dans une réponse à la question d’un sénateur en 2012. L’enregistrement d’images d’une personne dans un train est donc possible sans son consentement et ne constitue pas un délit au sens de l’article 226-1 du Code pénal.

Les conditions d'admissibilité de la preuve

Pour être admissible, la preuve doit respecter certaines conditions. A ce titre, le traitement de la preuve est similaire en France et en Espagne. La preuve doit notamment respecter les principes de loyauté et de proportionnalité.

Dans le cas présent, on peut considérer que le rapport des détectives privés serait tout à fait recevable dans une procédure pénale en France. En effet, nous avons vu que l’enregistrement des images à l’intérieur du train n’était pas une atteinte à l’intimité de la vie privée, s’agissant d’un lieu ouvert au public. Le fait que les détectives ont eux-mêmes commandé des boissons et filmé la transaction ne pourrait être considéré comme une incitation à commettre une infraction pour la serveuse. Il s’agissait en effet d’une commande tout à fait classique et dont le traitement fait partie des fonctions principales de la salariée. Les preuves collectées par les détectives sont ainsi loyales.

En ce qui concerne la proportionnalité, l’enregistrement des images s’est limité à la zone de prise de commande et d’encaissement par la salariée. L’intervention des détectives a été répétée sur quatre trajets en train, étalés sur une période de six mois. Cela s’est avéré nécessaire pour démontrer le caractère répété de l’infraction. Les moyens mis en œuvre pour collecter les preuves sont donc tout à fait proportionnels à l’infraction.

En résumé...

La justice espagnole a accepté le rapport d’un détective privé dans le cadre d’un licenciement pour faute grave, en l’occurrence des faits de vol sur le lieu de travail. Pour une affaire identique en France, on peut s’attendre à ce que les preuves apportées par un détective privé soient acceptées dans une procédure pénale. En revanche dans une procédure prud’homale et en l’absence de jugement pénal antérieur, l’employeur devra au préalable informer ses salariés qu’ils peuvent être filmés sur leur lieu de travail afin de contrôler leur activité professionnelle.